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Le geste symbolique qui répare

Quand les mots se cassent les dents

On a tous vécu ce moment : quelqu’un nous dit “allez, ça va passer” et au fond de nous, ça ne passe pas du tout. Les discours bien ficelés glissent comme l’eau sur les plumes d’un canard. Et puis il y a l’autre scénario : on est au plus bas et une main se pose doucement sur notre épaule. Rien d’autre. Et là, incroyable : ça respire à nouveau. Les mots échouaient, le geste réussit. Comme si le corps avait sa propre logique, beaucoup plus maligne que nos explications à rallonge.

Winnicott, Bion et les doudous pour adultes

Donald Winnicott l’avait déjà remarqué : l’enfant s’apaise grâce à son “objet transitionnel”. Vous savez, ce vieux lapin en peluche aux oreilles mâchouillées qui finit par sentir la lessive ET le chocolat fondu. Plus tard, on échange le lapin contre une photo, un foulard ou un caillou ramassé en vacances. Ça n’a l’air de rien mais c’est notre petit kit de survie émotionnel. Bion ajoutait que le geste qui “contient” nos émotions brutes nous aide à les transformer. Traduction : quand vous pliez en quatre la lettre de rupture et que vous la rangez dans une boîte, vous faites du Bion sans le savoir.

Les fibres C et l’ocytocine, duo magique

Les fibres C

Creusons un peu : les fibres C sont comme de petites antennes planquées dans notre peau, spécialement sensibles aux caresses lentes et chaleureuses. Elles n’aiment pas la tape rapide ou la poignée de main expédiée, non. Leur truc, c’est la douceur. Quand elles s’activent, elles envoient un message direct au cerveau limbique, la zone des émotions. Résultat : le corps se relâche, la respiration s’apaise.

L’ocytocine

Et pour couronner le tout, l’ocytocine entre en scène. Cette hormone au joli surnom de “molécule du câlin” agit comme un anxiolytique naturel : elle baisse le cortisol (l’hormone du stress), renforce le sentiment de confiance et nous rend plus enclins à sourire bêtement. Bref, ce que la poésie appelait jadis “la chaleur humaine”, la biologie le traduit aujourd’hui en fibres C et ocytocine. Comme quoi, câliner, c’est de la haute technologie naturelle.

Le corps est plus malin qu’on le croit

Les neurosciences se sont invitées à la fête pour confirmer tout ça. On a découvert que le toucher lent et doux active des fibres nerveuses spéciales (les fameuses C-tactiles) qui disent direct au cerveau : “détends-toi, tu es en sécurité”. Et quand on se prend dans les bras un peu plus longtemps que d’habitude, l’oxytocine jaillit et hop, le stress fond comme neige au soleil. Même le placebo fonctionne grâce à ce principe : avaler une pilule vide mais avec un joli rituel, soulage vraiment. Comme quoi, parfois, c’est le geste qui compte plus que la molécule.

Pourquoi un simple geste peut-il guérir ?

Un geste réparateur n’est pas seulement une caresse ou une main posée, c’est un fil qui recoud trois dimensions essentielles de notre vie intérieure. D’abord le corps : il retrouve son rythme, le souffle se calme, le système nerveux cesse d’être en alerte. Ensuite le sens : ce geste raconte quelque chose de juste, il met des mots muets sur la mémoire, le deuil, la gratitude ou le pardon. Enfin le lien : il existe parce qu’il est reconnu par quelqu’un d’autre ou parfois même par une communauté et c’est cette reconnaissance qui lui donne toute sa force.

Lévi-Strauss et les bougies qui sauvent

Claude Lévi-Strauss parlait d’“efficacité symbolique”. En clair : le rituel agit parce qu’il donne une forme visible à l’émotion invisible. Allumer une bougie pour un disparu, déposer un galet dans un jardin ou écrire un mot qu’on brûle dans le poêle (en surveillant de ne pas déclencher l’alarme incendie, bien sûr). Ce n’est pas de la magie, c’est de l’organisation intérieure. Et franchement, ça marche.

Trois ingrédients pour réparer

Un geste symbolique, c’est un petit chef-d’œuvre de simplicité : le corps se détend, le sens se raconte, le lien se recrée. Pas besoin de chorégraphie. Un silence respectueux, un câlin de trente secondes, une fleur cueillie dans un fossé… Tout ça vaut mille discours. Et cerise sur le gâteau, c’est gratuit et recyclable à l’infini.

Osons nos rituels bricolés

Alors pourquoi s’en priver ? On peut inventer ses propres gestes. Glisser un caillou porte-bonheur dans sa poche, dire “merci” à voix haute avant de se coucher, écrire une peur et la jeter dans la cheminée, préparer une soupe en pensant fort à quelqu’un. Ces petites folies symboliques réparent plus qu’on ne l’imagine.

Et si vous doutez encore, souvenez-vous : parfois, une main posée vaut un traité de philosophie. Et accessoirement, ça prend moins de temps à lire.

Les recherches sur le sujet

Understanding of Holding Environment Through the Trajectory of Donald Woods Winnicott

une étude récente (PMC9513407) semble renforcer l’idée que les gestes subtils — toucher compatissant, objet-témoin, rituel personnel — ne sont pas de simples “feelings” copains mais agissent sur le corps, la mémoire et la connexion, comme si le visible reparaissait un peu dans l’invisible.

Bion W. : Container/Contained

Bion explore comment un geste, un mot ou un espace fiable “contient” nos peurs et nos émotions brutes pour les rendre vivables — comme quand un pot de yaourt garde le petit-pot de crème fouettée : ça ne change pas le goût mais ça empêche le chaos.

« Major Principles of Attachment Theory” (Simpson, Rholes, Eller, Paetzold, 2021)

Les auteurs montrent que le besoin de proximité, d’un havre protecteur et d’une “base sûre” n’est pas un luxe émotionnel mais une structure intérieure qui permet de faire face à la souffrance, de cicatriser, puis de grandir.

« Polyvagal Theory: A Science of Safety” (Porges, 2022, PMC9131189)

Porges explique comment notre corps lit sans cesse des indices de menaces ou de sécurité et montre que les signaux de connexion sociale (voix chaleureuse, regard accueillant, gestes ouverts) activent un système nerveux qui nous dit : “Tout va bien”, permettant à nos défenses de s’abaisser et à la paix de revenir.

“Discriminative and affective touch: sensing and feeling” (Francis McGlone et al., 2014)

McGlone et al. montrent que notre peau possède des fibres sensibles au toucher lent et doux qui ne “sont pas juste fonctionnelles” mais nous font sentir quelque chose de chaud, de réconfortant. Comme si un geste tendre réveillait une part de nous qui avait trop longtemps été silencieuse.

“Self-soothing behaviors with particular reference to oxytocin release induced by non-noxious sensory stimulation” (Uvnäs-Moberg, Handlin, Petersson, 2014)

les auteur·ices montrent que les stimulations douces de la peau comme des caresses légères, chaleur, contact non agressif déclenchent une libération d’ocytocine qui apaise le stress, augmente le sentiment de bien-être et favorise les liens sociaux (humains ou même avec les animaux).

“Rituals alleviate grieving for loved ones, lovers, and lotteries” (Norton & Gino, 2014)

Les chercheur·es montrent que réaliser ou même simplement évoquer un rituel après une perte aide à alléger le chagrin en restaurant un sentiment de contrôle, même pour celles et ceux qui ne croyaient pas aux rituels. Preuve que le geste symbolique ne dépend pas de la foi mais de ce qu’il fait à l’intérieur de nous.

A Randomized Controlled Trial in Irritable Bowel Syndrome (Open-Label Placebo)” de Kaptchuk et al., 2010 (PMC3008733)

Kaptchuk et al. montrent que même quand les patient·es savent qu’ils prennent un placebo, ce simple acte comme prendre un comprimé neutre dans le cadre d’un rituel de soin améliore vraiment les symptômes du syndrome de l’intestin irritable. Soulignant que le geste compte autant que le contenu.

“The somatic marker hypothesis and the possible functions of the prefrontal cortex” de A. R. Damasio (1996, PMID 8941953)

Damasio propose que notre cerveau utilise des signaux corporels (respiration, rythme cardiaque, sensations silencieuses) pour orienter nos décisions. Souvent sans qu’on y réfléchisse consciemment, comme si notre corps savait mieux que nos raisonnements parfois embrouillés.

“Shaman, Psychoanalyst or Obstetrician: A Critical Reading of Claude Lévi-Strauss’ Essay ‘The Efficiency of Symbols’” (Staffan Mjönes, 2016)

Mjönes décortique une chanson médicale de la culture Cuna et montre que ce que Lévi-Strauss qualifie de “guérison par symboles purs” mêle en réalité pratiques réelles, herbes médicinales, gestes manuels et soutien émotionnel. Un rappel que le symbole compte mais qu’il ne vit pas seul.